Les langues vivantes : un poids de réalité

 

Alors que la réforme des lycées ajoute une seconde langue vivante comme matière obligatoire en section scientifique, voici un extrait de « Mémoires d'un Français qui se souvient d'avoir été Allemand », de Joseph ROVAN. Il s'agit d'un pionnier et d'un ouvrier de l'histoire. Sa double culture, allemande et française (il est venu en France avec sa famille à l'avènement d’Hitler), protestante et catholique jointe à ses ascendances juives), ses combats de résistant, sa déportation à Dachau en ont fait un observateur avisé et un acteur infatigable des relations franco-allemandes.

 

« Il est évident que la langue commune de l'Europe sera l'anglais. C'est déjà la deuxième langue dominante dans tous les États membres de l'Union, c'est la langue de communication scientifique universelle et c'est quelle immense chance pour l'Europe ! la langue des États-Unis. Comme ils ont raison les responsables tels que le président fédéral Roman Herzog qui nous disent que l'anglais ne doit plus être enseigné comme une langue étrangère, mais comme l'égale de la langue nationale, comme c'était le cas pour l'allemand, toute proportion gardée, dans la monarchie des Habsbourg...

 

Cette reconnaissance du fait dominant anglo-américain ne dispense pas les Européens de cultiver leur propre langue plus une troisième langue européenne. La moindre vendeuse, à Zurich, entend et parle trois langues (plus le Schwyzerdütsch qui est un patois incompréhensible aux autres germanophones). Le français, l'allemand, l'espagnol et, dans une certaine mesure, l'italien et demain le polonais sont des langues majeures. Aucun Européen ayant une fonction responsable dans la vie publique, culturelle et sociale ne doit, à l'avenir, se dispenser de pouvoir lire, parler et écrire couramment trois langues sa langue maternelle, l'anglais et une troisième à choisir parmi les « grandes » européennes. Cette exigence devra être placée à l'entrée de toutes les carrières conduisant à des responsabilités dont dépendent les existences d'autres citoyens ou voisins...

 

L'ouverture des frontières intra-européennes, et la liberté d'établissement pour tous les citoyens de l'Union sur le territoire de tous les États membres vont rapidement donner un poids de réalité à cette exigence. J'espère vivre encore assez pour voir l'introduction réelle de l’euro comme monnaie commune et unique, et pour voir se développer les conséquences politiques de cette mutation essentielle. Mon père était bon citoyen allemand, je crois être et avoir été un citoyen français utile. Je garde un souvenir ému, un réel sens d'appartenance à ma Bavière natale... Je me considère déjà comme un citoyen de l'Europe, j'espère pouvoir l'être sans cesse davantage, et que mes enfants trouveront cela tout naturel et leurs enfants encore davantage (j'espère qu'ils en auront). C'est l'Europe qui nous permettra de continuer à être français (ou allemands, ou italiens, ou anglais). Ici, sur notre continent, désormais, chacun a deux patries : la sienne et l'Europe. »

Seuil 1999

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