COLLOQUE DE STRASBOURG

 

UNE AMITIÉ EUROPÉENNE

QUI NE SE DÉMENT PAS

 

Le colloque de Strasbourg, des 26 et 27 novembre 1999, fait partie de ces événements qui se vivent plus qu'ils ne se racontent.

 

Une cinquantaine de personnes représentant plus de trente établissements s'étaient donc donné rendez-vous dans la capitale européenne. Les Français constituaient le groupe national le plus important, mais la diversité était plus sensible qu'à l'ordinaire. En effet, l'Angleterre, l'Écosse, l'Allemagne, la Belgique et le Canada avaient des participants. Il manquait la présence annoncée de l'Ukraine qui n'a pu aboutir en raison de l'annulation des vols Air France pour cause d'intempéries à Kiev. Un panel plus large que jamais. C'est le premier point positif.

 

Un contexte propice au déroulement de notre programme a simplifié les trajets puisque le centre Saint Thomas est situé tout près des lieux visités.

 

Des participants heureux de se retrouver ou de se découvrir, notamment en profitant au mieux des soirées du jeudi et du vendredi soir. Une ambiance favorable aux contacts et aux échanges informels qui rompent avec le relatif isolement dans lequel nous oeuvrons tout au long de l'année.

 

Un maître d’œuvre qui, en la personne du Père Caffin, a grandement facilité notre journée de visite du vendredi qu'il s'agisse du Palais du Conseil de l'Europe ou de la Cour Européenne des Droits de l'Homme.

 

Ce sont en effet ces deux lieux dont la visite a rempli notre journée du vendredi avant l'assemblée générale de l'association.

 

Le samedi matin, le Père Gilbert Caffin nous a permis de relire l'importance des deux institutions visitées la veille par rapport à l'organisation européenne. Nous ne pouvons être européens que si, au-delà de l'Union des 15, nous savons porter notre regard sur tous les pays du centre ou de l'est de l'Europe qui forment avec nous le vieux continent et ne peuvent être laissés sur le bord du chemin. C'est parce qu'ils sont différents qu'ils peuvent nous enrichir. Un grand merci au Père Caffin pour amplifier notre enthousiasme et élargir nos horizons.

 


« LE CHRISTIANISME

A CHANGÉ LA FACE DU MONDE »

René Rémond

 

Reçu, le 4 novembre dernier, à l’Académie française, ce brillant intellectuel et historien catholique, né en 1918, vient de publier « Les grandes inventions du christianisme », un passionnant ouvrage collectif qui fait le bilan de deux mille ans de christianisme. Les textes qui suivent sont extraits d'un entretien paru dans Panorama de janvier 2000.

 

... Le monde entier convient aujourd'hui de faire coïncider le début de sa chronologie avec le commencement de l'ère chrétienne. Il existe d'autres chronologies... Reste que la chronologie la plus universelle se fonde sur la naissance du Christ.

 

Évidemment, cette chronologie universelle n'implique pas adhésion universelle à la vérité du christianisme ! Elle vient simplement nous rappeler que c'est l'Europe chrétienne qui a, progressivement au cours des siècles, réalisé l'unification de la planète en imposant, avec son calendrier, son modèle culturel pétri de christianisme. C'est de l'Europe qu'est partie l'exploration du monde, c'est à l'initiative des Européens que se sont rencontrées des humanités qui, jusqu'alors, vivaient séparées. La chronologie chrétienne universellement adoptée est donc une marque historique de l'expansion puis il faut bien le dire de la domination du continent européen sur le reste du monde. Songez à ce constat étonnant : le monde entier du Japon à l'Arabie Saoudite, du Tibet à l'Inde, s'apprête à célébrer l'entrée dans le troisième millénaire de l'ère chrétienne et accepte, donc, sans que cela soit matière à polémique, un cadre chronologique fondé sur une croyance qu'il ne partage pas forcément !

 

... Un certain nombre des apports du christianisme sont devenus aujourd'hui le patrimoine de l'humanité sans qu'on garde pour autant la mémoire de leurs origines chrétiennes. Des idées spécifiquement chrétiennes se sont aujourd'hui tellement banalisées qu'elles sont partagées par des civilisations, des cultures parfois totalement éloignées du christianisme. S'il faut cependant tenter d'évaluer l'apport le plus fondamental du christianisme à l'humanité, je soulignerais deux points : l'appel à la liberté de la conscience et la notion d'égalité.

 

... Les martyrs chrétiens sont les témoins d'une attitude fondamentalement nouvelle de l'homme : la liberté de conscience. Tout en étant de bons citoyens, ils refusent de sacrifier au culte imposé par l'empereur, ils réclament la possibilité de pouvoir prier le Dieu de leur choix. A la loi sociale et aux croyances imposées, ils opposent le primat de la conscience individuelle. Autrement dit, ils opèrent une véritable révolution copernicienne en affirmant que leur identité ce qu'ils pensent et ce qu'ils croient ne se confond pas forcément avec l'identité du groupe social dans lequel ils s'insèrent, qu'il y a place, face à l'identité collective donnée par la cité, pour une identité individuelle. Le christianisme est tout simplement le fondateur d'une idée neuve et, à bien des égards, totalement géniale : la personne.

 

.. . Lorsque la Révolution française proclame les Droits de l'homme, la première réaction du Magistère romain est de les condamner et de considérer qu'ils sont incompatibles, inconciliables avec les Droits de Dieu, Il faudra attendre le concile Vatican II puis les vigoureuses positions de Jean-Paul II, pour que l'Église reprenne totalement à son compte la pertinence et la légitimité des Droits de l'homme pour lesquels les chrétiens sont désormais nombreux à se battre. Car affirmer les Droits de l'homme, c'est proclamer le caractère inviolable, sacré, de la conscience individuelle voulue et créée par Dieu. Je constate qu'aujourd'hui les pays du monde où les Droits de l'homme sont les moins bafoués sont ceux où la culture et l'inspiration chrétiennes ont été les plus prégnantes. Même si on n'a pas évité de terribles dérives.

 

En affirmant une commune filiation de toute l'humanité à Dieu le Père, le christianisme apporte effectivement encore une idée neuve et subversive. Le monde, à l'époque du Christ, est profondément inégalitaire. La hiérarchie s'établit en fonction de la race, de la croyance, du pouvoir, de l'argent. Et Jésus vient proclamer une totale égalité entre tous. « Il n'y a plus ni Juifs, ni Grecs, ni femmes, ni hommes, ni esclaves, ni hommes libres », affirme saint Paul.... A force de lire ou d'entendre ces textes, on finit par ne plus entendre leur incroyable nouveauté. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, une religion affirmait une totale et inaliénable égalité entre tous les hommes qui sont tous aimés de Dieu.

 

... On accuse aujourd'hui l'Église de ne pas assez faire droit aux femmes dans son organisation et dans son fonctionnement, notamment en ce qui concerne les ministères ordonnés. Et personnellement, je crois qu'effectivement il reste de gros progrès pour sortir le catholicisme d'une vision trop masculine. Cependant, reconnaissons aussi que, dès ces débuts, le christianisme a une attitude tout à fait originale à l'égard des femmes. Nous ne connaissons pas d'autres communautés religieuses qui fassent autant de place aux femmes, qui sont présentes près de Jésus, qui, dès les premières communautés, prient dans le même lieu, avec les hommes, comme cela nous est raconté dans les Actes des Apôtres. Nos deux mille ans d'histoire chrétienne ont été écrits par des hommes et par des femmes dont certaines ont été présentées aux croyants comme d'incomparables modèles. Quelles sont les grandes religions qui comptent dans leurs rangs des Thérèse d'Avila, des Claire d'Assise ou des Thérèse de Lisieux ? Là encore, nous ne pouvons qu'être frappés par l'extraordinaire révolution que le christianisme a opérée dans des sociétés traditionnellement très masculines.

 

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