« Le sacre
du présent »
de Zaki Laïdi
Flammarion 2000
Dans une société qui vit au
jour le jour, sans projet d'avenir, comment aider nos élèves à prendre conscience
de 1’Europe à venir ? Sans doute en nous efforçant de leur faire comprendre
qu'il faut dépasser cet horizon limité de l'immédiat dont ils sont imprégnés,
tout comme trop d'adultes.
Zaki Laïdi
nous propose une réflexion sur le temps : comment l'homme d'aujourd'hui
vit-il le
temps ? Dans son introduction, il nous montre en quoi la chute du mur de
Berlin a changé notre manière de vivre le temps.
En effet, l'effondrement de la dictature communiste
a aussi entraîné une rupture quant à notre manière de penser l'avenir. Les
utopies sociales ont déserté notre imaginaire. Quand on envisage l'avenir
sous des auspices meilleurs que ceux du présent, on vit le temps selon
une perspective. Or aujourd'hui, cette disposition à vivre le futur comme
possibilité d'un mieux ne fait plus partie de notre horizon.
Z. Laïdi nous propose un nouveau terme à propos de
l'homme d'aujourd'hui : " L'homme présent ". Cet homme vit dans un monde d'incertitude, il abolit le passé,
le futur, pour ne vivre que le présent. Nous voilà dans un présent éternel.
Mais cette prégnance du temps présent conduit à une logique de simultanéité.
" A force de nier
le temps, il ne finit par ne voir que son déferlement ".
De l'espérance, nous sommes passés à la contrainte
de l'urgence. L'attente comme promesse ne peut plus être vécue, seules des
réponses immédiates peuvent être entendues. Ainsi, "
l'homme présent devient celui de la contingence, il
ne se veut redevable d'aucune historicité ".
L'homme présent vit donc sans point de vue, sans hauteur.
Cette absence de perspective le conduit à la solitude de l'individualisme.
Ce qui compte pour lui c'est le vécu.
Deux expressions de Z. Laïdi ont aussi retenu mon attention,
" le temps comme
nasse et non plus comme brèche " et "
la société de satisfaction immédiate ".
A propos de la dernière, Z.
Laïdi nous dit que la brèche c'est ouvrir un front, c'est fissurer
un dispositif, on pose un acte de volonté. On refuse un état de fait pour
entrer en lutte, pour oeuvrer. Alors que maintenant, seul le présent va
de soi. C'est pourquoi on passe de la brèche à la nasse du temps. Seule
l'addition d'instants semble pertinente à l'homme présent.
" La société de la satisfaction immédiate "
fait vivre l'homme dans un éclatement
des limites et un choix d'options considérables. Il est amené à devoir choisir
sans cesse, l'individu est en quelque sorte submergé par l'ampleur des possibilités.
C. Taylor parle de "
l'éclatement des horizons ".
Le travail de Z. Laïdi
me semble d'une grande pertinence pour nous aider à lire et à mieux
comprendre notre monde. Nous, comme les élèves qui nous sont confiés, sommes
partie prenante de ce monde. Mais ne faut-il pas dans notre tâche d'éducateur
avoir une bonne connaissance de ces réalités pour être à même de proposer
aux élèves d'autres perspectives.
Z. Lalfdi dans sa conclusion développe avec
vigueur la responsabilité que nous avons à l'égard des générations futures,
et en cela il rejoint H. Jonas. Le concept d'avenir est ce
qui nous donne entre autre notre humanité.
Dans le cadre de notre engagement pour l'Europe, nous
manifestons cette confiance en l'avenir et nous tentons d'éduquer nos élèves
à cette dimension. Nous pensons que l'Europe se fera surtout par l'éducation,
par l'apprentissage des histoires singulières, par des projets ce qui est
une des manières de résister à l'air du temps.
Par ce bref compte rendu, j'ai tenté de vous donner envie de lire ce livre, riche d'analyses et de propositions. Je lui laisse la dernière phrase de cet article.
" Penser nos actes, nos engagements dans le devenir, c'est peut être la
responsabilité essentielle "
Guy Lehner
Lycée Saint Vincent
Senlis